Report de la Réforme, restons constructifs et concentrés

Report de la Réforme, restons constructifs et concentrés

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Suite au communiqué laconique du 28 juillet dernier annonçant un report de la réforme sans dire quand ni comment, ni complètement pourquoi, s’arrêtant au besoin de laisser « le temps nécessaire à la réussite de cette réforme structurante pour l’économie ».

Il est vrai que le premier semestre 2024 s’annonçait plus que tendu, puisqu’il prévoyait à la fois les premières immatriculations de PDP, la mise en production du PPF livré en qualification en décembre 2023, un pilote sur 6 mois avec un grand nombre de candidats (plus de 100 équipes pour plus de 1300 entreprises, montrant que beaucoup se sentaient prêt à relever le défi), et en même temps une campagne de choix de PDP fraichement immatriculées ou du PPF pour 4 millions d’entreprises et un démarrage d’une réforme si structurante au cœur de l’été 2024.

Nous nous attendions donc à un report de 6 à 12 mois, jouant sur les dates d’entrée au plus tard dans les différents aspects de la réforme, ainsi qu’une prise en considération de la nécessité de laisser plus de temps aux entreprises pour prendre la pleine mesure de ce que signifie le volet e-reporting, de surcroit en tenant compte du projet de Directive ViDA, toujours en discussion et qui viendra influer sur notre dispositif.

Mais finalement, comme déjà rapporté par beaucoup, la réunion de la Communauté des Relais de jeudi 14 septembre a été l’occasion d’annoncer tout d’abord que le PPF ne serait pas disponible en décembre 2023 comme annoncé jusqu’ici avec force, mais quelque part à l’automne 2024, suivi d’une phase de test et de validation, puis d’un pilote « large » sur sa durée et son périmètre fonctionnel sur l’année 2025. Le déploiement serait alors repoussé à 2026, idéalement resserré en 2 phases, avec une obligation de recevoir pour toutes les entreprises au cours du premier trimestre 2026 (le mois de mars semble tenir la corde pour éviter le tout début d’année), avec obligation d’émettre factures et e-reporting pour les grandes entreprises et peut être aussi les ETI, puis une seconde phase en septembre ou octobre 2026 (pour éviter l’été cette fois-ci), pour les PME/TPE, et les ETI si elles ne sont pas dans la phase 1.

Il resterait toutefois encore un peu de place à la discussion, et, de toute façon, tout ceci doit se décider dans le cadre de la Loi de Finances 2024, qui sera adoptée probablement dans les derniers jours de décembre 2023. Il y aura ensuite un décret et un arrêté venant modifier ceux d’octobre 2022, à la fois sur les dates mais aussi sur la capacité à immatriculer des PDP avant que le PPF ne soit disponible. En effet, plus de 20 dossiers ont été déposés et d’autres sont attendus, montrant d’ailleurs que du côté des PDP et des OD, le challenge du calendrier était à peu près tenu. Il en est d’ailleurs de même pour une grande majorité des grandes entreprises, comme le baromètre 2023 Generix Markess le montre puisqu’il indique que 73% des entreprises interrogées (grandes entreprises et ETI) estimaient qu’elles seraient prêtes à temps, à un an de l’échéance.

Nous faisons donc face à une situation complexe puisque l’indisponibilité soudaine du PPF (même si beaucoup se demandait comment les délais pouvaient être tenus étant donné les discussions en atelier montrant que la phase de spécifications n’était pas totalement aboutie) vient choquer la préparation à marche forcée d‘un grand nombre d’entreprises et de prestataires candidats PDP ou OD, qui ont investi financièrement, en temps et en ressources, et qui voient l’échéance s’éloigner subitement de 2 ans au lieu des 6 à 12 mois pressentis. Rappelons tout de même qu’un décalage de ce type, c’est plus de coûts car plus de temps à y passer, maintenir l’équipe ou la reformer, et un ROI qui s’éloigne puisque les bénéfices attendus seront plus tardifs, 2 effets qui ne jouent pas dans le sens attendu par les dirigeants et les actionnaires.

Contourner l’obstacle ?

Le développement de la facture électronique n’est pas nouveau puisque cela fait plus de 30 ans, mais il est lent, même si en accélération. La réforme, qui s’inscrit dans un mouvement mondial, a assurément accéléré très sensiblement le déploiement et permet d’entrevoir les quasi 100% à son terme, dans cette décennie. Par contre, elle impacte aussi à la fois le fonctionnel en imposant potentiellement des comportements nouveaux comme la gestion du statut «Refusée» et ses possibles impacts sur les délais de paiement, sur l’architecture du système d’échange : modèle en Y ou en V quand on utilise le PPF, interopérabilité et gouvernance, annuaire national ou réseau d’interopérabilité de type PEPPOL, …. et sur le modèle économique : plateforme de service publique gratuite face à des plateformes privées.

Ceci a fait dévier l’écosystème vers une autre route, qui devrait être une autoroute promettant une forte accélération, donc très bien et le marché s’adapte. Alors, quand subitement il n’y a plus d’autoroute avant 2 ans, la question qui se pose est de savoir si on doit revenir sur le chemin initial, qui nous éloigne de l’accès à l’autoroute à venir, ou si on commence par une route à 3 voies sur le nouveau chemin, en attendant qu’elle se transforme en autoroute.

Il y a donc un enjeu particulier à permettre un démarrage des flux dans le cadre de la réforme au plus tôt, dès 2025. Si, on se donne cet objectif, qu’est-il nécessaire pour y arriver.

Tout d’abord, cette réforme comporte deux volets, qui impactent très différemment les entreprises :

  • Le volet e-invoicing, qui exige d’abord que toutes les entreprises choisissent au moins une plateforme de réception de factures. Je dirai même une de plus, puisque la plupart des entreprises ont déjà l’habitude d’aller sur différents portails pour récupérer certaines de leurs factures. Il s’agit là de choisir celle qui concentrera l’ensemble des flux en réception. Il faut laisser du temps pour choisir car il y a 4 millions d’entreprises à équiper et il faut aussi la disponibilité du PPF, offre gratuite à l’origine proposée comme alternative aux PDP pour les PME / TPE. Ensuite, il s’agit pour les entreprises, progressivement d’émettre leurs factures sous forme électronique, avec des données (ce qui est la difficulté essentielle) et de s’inscrire dans un partage de cycle de vie, a minima pour signifier un « Refus » pour le destinataire et un « Encaissement » pour le fournisseur sur factures de services à l’encaissement, idéalement les autres statuts fonctionnels indiquant la prise en charge, l’approbation, le paiement ou la mise en litige de la facture. S’ajoute à cela quelques cas d’usages complexes qui pourraient très bien être abordés avec bienveillance, laissant un peu plus de temps à ceux qui sont concernés pour les mettre en œuvre.
  • Le volet e-reporting, qui demande aux entreprises d’abord de prendre conscience de ce qu’il signifie : une obligation de reporting des données de ventes B2C et B2B internationales très accélérée et au détail de la vente ou de la journée de vente. Mais il s’agit aussi de e-reporter du détail de ses acquisitions internationales hors import de biens, ce qui nécessite d’identifier ces acquisitions et les factures qui en découlent, puis d’en extraire les mentions obligatoires, y compris le détail de ligne, alors que ces factures ne sont pas structurées, mais encore papier ou simple pdf. Pour une entreprise au régime normal qui déclare sa TVA entre le 16 et le 24 du mois suivant, ce qui restera à faire, cela signifie de s’organiser pour e-reporter tous les 10 jours sous 10 jours ses ventes B2C / B2B internationales et ses acquisitions internationales hors import de biens. Pour une TPE au régime simplifié qui déclare sa TVA tous les ans, on passe en mensuel, c’est-à-dire 12 fois plus souvent, avec beaucoup plus de détail et de données à collecter, rassembler, agréger, e-reporter. Ceci va permettre aux entreprises de s’obliger à une comptabilisation en temps réel et donc une meilleure visibilité sur leur activité, mais cela va aussi les obliger à changer profondément leurs habitudes et processus. Et ceci sans rentrer dans le détail de certains cas d’usages, comme la gestion des frais des collaborateurs, les bons à usages multiples, les règles de territorialité qui déterminent ce qui relève du e-reporting ou ce qui est hors réforme, et bien d’autres, y compris ceux qu’on n’a pas encore vu …

Étant donné la différence de maturité des deux sujets, il serait donc raisonnable de les dissocier, en sécurisant le volet e-invoicing et le passage à la facture électronique domestique pour tous les assujettis sur 100% de leur activité, pour entrer dans un second temps sur le volet e-reporting, profitant de surcroit de l’alignement apporté par la Directive ViDA, en particulier sur les flux intracommunautaires qui pourront être traités comme les flux domestiques e-invoicing. Il ne s’agit pas de repousser aux calendes grecques, mais de le détacher pour le traiter de façon indépendante en laissant là aussi un délai d’entrée permettant l’anticipation pour les entreprises qui souhaitent se mettre en conformité en une seule fois.

Ceci étant posé, un des apports majeurs de la réforme sur son volet e-invoicing est de normaliser l’adressage au sein du réseau d‘échange PDP / PPF et d’imposer une interopérabilité entre PDP, sur la transmission des factures ET sur le partage du cycle de vie, en la soutenant au travers de la tenue d’un annuaire public. En effet, qui a déjà déployé des projets de facture électronique sait bien que la grande difficulté est le déploiement. En position d’acheteur, il faut convaincre tous ses fournisseurs de se connecter comme on leur demande, ces derniers ne souhaitant pas multiplier les projets informatiques pour chacun de leurs clients. En position de vendeur, il s‘agit de savoir qui accepte des factures électroniques, sous quel format et à quelle adresse, voire sur quelle plateforme.

Le simple fait qu’il existe un annuaire public, avec une règle d’adressage commune, portable, c’est-à-dire ne dépendant pas de sa plateforme, dans lequel toutes les entreprises peuvent venir indiquer son ou ses adresses électroniques, sa plateforme et ce qu’elle accepte en termes de formats et exige en termes de règles de gestion, permet d’organiser une interopérabilité native au sein d’un réseau de plateformes ou de Points d’Accès à ce réseau d’échange. Ceci permet à tous ceux qui souhaitent émettre de savoir où et comment le faire, simplement en consultant l’annuaire.

C’est d’ailleurs sur ces bases que le protocole CEF e-delivery est construit et est déployé notamment par PEPPOL et l’EESPA.

Toutefois, la mise en œuvre de la réforme a conduit à ce que cet annuaire soit géré par le PPF, d’abord pour maîtriser la gouvernance et soutenir le déploiement pour plus de 4 millions d’entrées, mais aussi pour garantir un niveau élevé d’identification des assujettis (en partie confié aux PDP). Ceci a conduit à des travaux d’adaptation du modèle d’interopérabilité déployé par PEPPOL / EESPA au travers du POC DCTCE France auquel près de 50 prestataires participent.

Mais voilà, pas de bras, pas de chocolat ! Pas de Palais, pas de Palais ! Et pas de PPF, plus d’annuaire utilisable par exemple pour permettre un démarrage sur la base du volontariat, indiquant qui est prêt à recevoir en attendant l’obligation pour tous. La route ou l’autoroute en somme !

Tout ceci a donc conduit le FNFE-MPE, en concertation avec ses membres, à proposer un lotissement de la mise en œuvre du PPF afin de permettre à tous ceux qui sont prêts, de déployer dans le cadre de la réforme, sans forcément attendre que le PPF soit pleinement opérationnel. Il s’agirait donc de commencer par l’annuaire et ses fonctionnalités de mise à jour et de consultation, dès le premier trimestre 2024, permettant ainsi à toutes les PDP immatriculées de démontrer leur interopérabilité effective dans le fonctionnement cible, puis de déployer sur la base du volontariat auprès de toutes les entreprises qui se sont préparées, ou se préparent.

Ensuite, il s’agirait de livrer en priorité tout ce qui relève du e-invoicing sur le PPF pour permettre aux entreprises qui souhaitent l’utiliser de le faire, rendant aussi possible la mise en œuvre de l’obligation de recevoir, objet de la dérogation obtenue par la France, qui, avec l’annuaire, constituent la clé de voute et le point de départ de la réforme.

Enfin, la totalité du périmètre, et donc essentiellement le e-reporting, pourrait être livré, quitte à ce que ce soit avec quelques mois de plus.

Si j’ai bien compris, cette possibilité est à l’étude et nous devrions avoir des réponses dans les prochains jours, même si on a pu percevoir des réserves. Je suis bien conscient que proposer est facile, faire est une autre paire de manche.

Mais gageons que l’expérience de nombreux acteurs qui mesurent la complexité de la réforme et la nécessité de procéder par étapes en construisant d’abord l’infrastructure (les référentiels / l’annuaire), puis les échanges de factures dans un cadre interopéré et conforme aux exigences de la réforme pour 4 millions d’entreprise, puis le reste qui nécessite encore de la maturité, soit entendue.

Il reste des arguments de coûts pour le projet et de délai pour que l’essentiel soit fait avant 2027. S’agissant du coût, il me semble que l’objectif de réduction de la fraude à la TVA, qu’on chiffre en milliards d’euros, récurrents, justifie un minimum d’investissements dont l’ordre de grandeur est très loin du milliard. Ce n’est pas tous les jours qu’on a des ROI de ce type.

S’agissant du délai, si on arrive à déployer 4 millions d’entreprises à fin 2026, s’étant transformées pour émettre et recevoir l’essentiel de leurs factures B2B domestiques sous forme électronique structurée, avec un partage de cycle de vie leur permettant une meilleure vision sur leur activité et une accélération des règlements ou du refinancement, ce sera déjà un énorme succès et une habitude à gérer plus en temps réel, nécessaire pour le volet e-reporting. Et on sera toujours en avance sur le calendrier ViDA.

Et n’oublions pas la courbe d’expérience. Même si le travail préparatoire est et a été très fourni, bien au delà de ce que les autres pays ont fait, il y aura des surprises et des réajustements qu’il faut connaître au plus tôt. Et c’est par la pratique et l’amélioration continue qu’on arrive à mieux coller à la réalité.

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