La réforme de la facture électronique reportée de 2 ans. Et alors ? Et ensuite ? On avance quand même ...
Après le communiqué de presse annonçant un report de la réforme fin juillet dernier, après la réunion de la communauté des relais de septembre puis la déclaration du Ministre M. Bruno Le Maire au congrès de l’ordre des experts comptables, c’est au travers de l’amendement I-5395 à la loi de Finance 2024 que les grandes lignes du calendrier de la réforme ont été dévoilées.
Pour mémoire, un démarrage au 1er juillet 2024 paraissait très optimiste, tant il restait des zones d’incertitudes, notamment sur le volet e-reporting. Le planning du premier semestre était lui aussi très tendu, puisque devant à la fois voir l’immatriculation des PDP dès qu’elles pouvaient démontrer leur connexion avec un PPF initialement disponible en décembre 2023, une phase pilote sur quelques mois et le déploiement de TOUTES les entreprises (près de 4 millions) en réception de factures électroniques.
Différentes études indiquaient des retards dans la préparation des entreprises, près de 30% de grandes entreprises et ETI estimant ne pas être prêtes pour juillet 2024, moins de la moitié ayant engagé des travaux de préparation. Il semblait donc qu’un décalage de 6 à 12 mois serait nécessaire pour « finir le job ».
Le décalage proposé au travers de l’amendement va bien au-delà puisqu’il propose de reporter l’entrée en vigueur de la réforme de plus de 2 ans (voire de 2,5 ans au plus tard si nécessaire), avec une obligation de recevoir des factures électroniques pour TOUS au 1er septembre 2026, avec possibilité de décaler de 3 mois de plus si nécessaire, avec obligation d‘émettre des factures électroniques et de faire le e-reporting à cette même date pour les grandes entreprises et les ETI, puis un délai supplémentaire d‘un an pour les PME / TPE, celles-ci pouvant anticiper leur date d’entrée en réforme pour l’émission de leurs factures électroniques et du e-reporting.
Si le besoin était de laisser le temps à toutes les entreprises de se préparer, un tel décalage risque aussi de reporter la préparation de celles qui n’avaient pas commencé et de reprioriser pour celles qui étaient prêtes, ou presque.
Alors pourquoi décaler d’autant ? La raison principale est la prise de conscience des équipes projet de la réforme d’une plus grande complexité qu’envisagé initialement, notamment du fait de devoir adresser tous les cas d’usage de facturation (pour le PPF aussi), mais aussi pour s’assurer que l’ensemble du dispositif sera fonctionnel, sécurisé, testé le plus largement possible, sans les mêmes difficultés que celles rencontrées sur le guichet unique pour le dépôt des comptes ou la déclaration de biens immobiliers. La réforme vise en effet à organiser la transmission des factures et toute défaillance pourrait avoir un impact significatif sur les délais de paiement et sur l’économie.
Que faut-il alors en apprendre et en déduire.
Tout d’abord qu’il s’agit en effet d’une réforme ambitieuse, qui va aligner les pratiques des entreprises en exigeant un meilleur respect de la réglementation. Fini les factures qu’on ignore, qu’on corrige. Fini les acomptes sans factures d‘acompte. Mais surtout, comment vont se passer la gestion des frais engagés voire payés par des collaborateurs, les ventes ou achats auprès d’intermédiaires (places de marché ou autre), les cartes d’essence, l’utilisation des bons d’achat, les achats d’espaces publicitaires, la gestion avec des centres de services partagés, …
Ensuite, passer à la facture de données nécessite d‘abord de savoir produire les données et de les présenter dans le respect des standards (de la Norme EN16931), de s’assurer que les calculs se font correctement, de gérer les éventuels sujets d’arrondis, de savoir gérer les remises et charges sur prix brut, à la ligne, en pied de facture, de gérer correctement les différentes références, SIREN, SIRET, numéro de bon de commande, de livraison, de contrat, d’adressage interne (n° de Business Unit par exemple), de renseigner les prix brut (avant rabais) et les prix nets, de gérer toutes les mentions obligatoires sous forme structurée.
Si la livraison du PPF nécessite près de 2 ans de plus que les 15 mois initialement prévus (puisque le prestataire en charge a été choisi courant août 2022), c’est surtout un signe (et pas un signal faible !) pour les entreprises qu’il ne faut pas sous-estimer les impacts de cette réforme sur l’ensemble de leurs processus d’achat / vente.
Ce n’est donc pas le moment de se démobiliser. Tout d‘abord parce que les spécifications externes du PPF définissent de fait des pratiques à venir et s’y désinteresser, c’est prendre le risque de découvrir qu’elles ne sont pas adaptées aux pratiques courantes des entreprises quand il ne sera plus possible d’y revenir.
Par exemple, la gestion du cycle de vie donne un sens terminal à un refus de facture par le destinataire, qui oblige le fournisseur à l’accepter et à produire un avoir et une nouvelle facture alors que le refus peut être erroné. De même, il est prévu un certain nombre de raisons de refus d’une facture issues des pratiques sur ChorusPro (donc du secteur public). Est-ce réellement adapté aux pratiques des entreprises et à leurs besoins (cf annexe 7 des spécifications externes). Pourront elles se transmettre d’autres statuts sachant que le PPF s’en tiendra aux siens. En tout cas, les messages standards prévoient d‘autres motifs plus précis (articles incorrects, problème de livraison, quantités incorrectes, prix incorrects).
Et nous sommes dans un mode « qui ne dit mot consent », et « qui ne confronte pas les spécifications externes à ses propres processus » n’aura que ses yeux pour pleurer quant il prendra conscience de l’impact sur son quotidien.
Il est donc primordial que l’effort de co-construction se poursuive, et pour cela, il faut poursuivre les projets pour ceux qui y sont préparés, car la prise de conscience du réel ne vient que par la pratique.
Mais surtout, il est aussi nécessaire de revenir aux fondametaux. La mise en oeuvre de la facture électronique permet d’automatiser les traitements, d’accélérer les paiements, de nourrir les systèmes d’information pour mieux gérer son activité et sa trésorerie.
La réforme et sa préparation permettent de donner un cadre commun, sur les formats, sur les cas d’usage (ce qui n’a jamais été fait à cette échelle), sur la façon d’organiser les échanges, sur la nécessité de mettre en oeuvre une interopérabilité native pour que les solutions et systèmes d’échange se parlent et se comprennent, sur un cycle de vie et la façon de l’exprimer, même si améliorable.
A tout ceci, nombre de solutions, futures PDP ou OD, sont préparées et en capacité de s’inscrire dans ce cadre commun. Cet alignement est un effet bénéfique de la réforme. Il ne manque que le PPF, pour 2 fonctions essentielles, et une qui peut se laisser du temps :
- La gestion de l’annuaire des assujettis qui participe à l’interopérabilité native entre plateformes. Ceci relève en fait de l’infrastructure nécessaire pour un déploiement organisé.
- Les fonctions de PDP sur le e-invoicing du PPF (émission / réception de factures), pour les entreprises qui souhaitent l’utiliser et pour permettre la mise en oeuvre de l’obligation de recevoir pour tous (pour rappel, la dérogation obtenue auprès de la Commission Européenne pour mettre en oeuvre la réforme reposait aussi sur la mise en oeuvre d’une plateforme publique gratuite pour accompagner cette obligation)
- Les fonctions liées au e-reporting, y compris la gestion des flux 1 (données extraites des factures et transmises à l’administration fiscale via le PPF) pour la partie e-invoicing. Celle-ci est utile pour l’Adminsitration fiscale, mais moins essentielle pour les entreprises.
Sur le premier point, malgré des demandes de l’écosystème, la capacité du PPF a fournir en avance de phase l’annuaire (dès 2025) semble difficile. Mais il existe déjà des solutions déployées dans plusieurs pays du monde et pour lesquelles le FNFE-MPE travaille en collaboration avec PEPPOL et GENA (anciennement EESPA) pour les mettre en oeuvre en France en cohérence avec les contraintes de la réforme (POC DCTCE France = Proof of Concept of Decentralized Continuous Transaction Control Exchange modèle appliqué au contexte français), ce qui participera aussi à la mise en oeuvre de la facture électronique en Union Européenne sur le modèle décentralisé préconisé par le projet de Directive ViDA.
S’agissant du second point, la facture électronique peut très bien se déployer sur une base volontaire comme elle le fait depuis 30 ans, mais cette fois-ci de façon standardisée et dans un cadre commun et interopéré, ce qui devrait faciliter le déploiement.
L’entrée en réforme ne nécessitera « que de brancher le PPF ». Et toute l’expérience accumulée permettra aussi de vivre le passage à la réforme de façon plus continue plutôt qu’en mode « Big Bang » en septembre 2026.
Enfin, tout ceci s’inscrit dans un mouvement mondial et européen. La France était en avance et la première à adopter un modèle décentralisé en Union Européenne (reposant sur des Plateformes Privées, gouvernées par une plateforme nationale). En effet, l’Italie, la Pologne ou la Roumanie ont pour l’instant opté pour un modèle centralisé obligeant un échange au travers d’une plateforme nationale ou une prévalidation formelle par une plateforme nationale préalable à la transmission des factures. C’est manifestement plus simple à déployer, même si des décalages ont aussi été nécessaires pour la mise en application, mais force est de constater que ceci ne s’inscrit pas dans la direction ViDA, avec des formats propriétaires et une focalisation avant tout sur les besoins des administrations fiscales.
L’approche décentralisée est plus complexe d’abord parce qu’elle exige la mise en oeuvre d’une interopérabilité entre plateformes, mais surtout parce qu’elle a vocation à s’inscrire dans l’existant et à se rendre compatible avec les pratiques, usages et besoin des entreprises, pour éviter que se développent des flux opérationnels à coté des flux réglementaires. L’Allemagne, la Belgique et l’Espagne se dirigent vers le modèle décentralisé, en adressant le volet e-invoicing à horizon 2026 – 2027.
La France reste le seul pays qui envisage de traiter en même temps le volet e-reporting, ce qui n’est pas anodin. Ceci renforce la nécessité d’avancer le plus rapidement possible sur le volet e-invoicing, qui est assez abouti sur son périmètre, sur la base du volontariat. On regrette seulement que l’obligation de recevoir ne soit pas appliquée plus tôt pour permettre à tous ceux qui sont prêts à émettre de le faire de façon plus large vers tous leurs clients (comme en Allemagne qui projète de l’instaurer des 2025 pour une obligation d’émettre en 2027).
Le FNFE-MPE continue d’accompagner l’écosystème pour favoriser le déploiement des usages et des bonnes pratiques, et participer à la construction de l’interopérabilité des systèmes et solutions, en cohérence avec la réglementation en France mais aussi avec les pratiques et standards internationaux.
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