Réforme Facture électronique & e-reporting en France
Le Jour d'Après
L’annonce du 15 octobre dernier, relative au recentrage des missions du Portail Public de Facturation a fait l’objet de nombreux commentaires.
Une fois l’émotion passée, et elle est réelle pour tous ceux qui envisageaient d’utiliser le PPF comme ressource gratuite publique de fonctions de PDP, et probablement aussi pour les PDP elles-mêmes, d’une façon différente, il me paraît important de quitter l’univers émotionnel pour revenir dans celui de la raison.
Tout d’abord, j’ai pu lire que la facture électronique serait désormais payante ! Pour rappel, factuellement, transmettre une facture papier coûte plusieurs euros de coûts directs. Se faire payer représente aussi un coût, certes indirect, mais une énergie bien réelle, ne serait-ce que pour savoir si la facture est bien arrivée, en cours de validation, rejetée, en litige, … Et même lorsqu’on fait des factures PDF transmises par email, on se voit rapidement invité à se rendre sur des portails d’acheteurs, tous pensés pour les acheteurs mais assez peu pour les fournisseurs, notamment TPE. Ceci génère aussi une charge conséquente, qui se multiplie.
Et côté réception, recevoir des factures papier ou même pdf nécessite de les intégrer dans sa comptabilité et de les brancher sur un processus de validation, électronique ou papier. Là encore des coûts, sans compter les appels des fournisseurs inquiets de savoir si leurs factures vont être payées. Et quand on souhaite mettre en place une solution de facturation électronique, il faut déployer ses fournisseurs pour qu’ils transmettent des factures quand on leur demande, où on leur demande et sous la forme qui va bien.
Si on regarde de plus près les TPE, qui pour la plupart s’appuient sur un expert-comptable, le sport le plus répandu est la chasse ou la pêche au document comptable, factures émises, factures reçues, avoirs, tickets d’achat, notes de frais, et tout ce qui participe à la piste d’audit fiable ou au chemin de révision comptable, … Et après, il faut saisir, traiter, … quand on a le temps, et donc disposer d’une vision de la situation de l’entreprise très approximative.
C’est ça la gestion de la facturation actuelle. Ce qui compte est donc de savoir si le passage à la facture électronique pour tous et toutes permet de réduire les coûts de traitement, y compris après prise en compte d’un coût de solution de transmission, sans compter la traçabilité apportée par le partage du cycle de vie.
La réforme facturation électronique, en obligeant toutes les entreprises à passer à la facturation électronique, dans un cadre commun, ayant déjà identifié un grand nombre de cas d’usage, sur la base de standards permettant de disposer des données essentielles et utiles sous une forme commune, directement exploitables de la même façon pour tous, intégrant une traçabilité native grâce aux obligations d’échange de statuts de cycle de vie, permet de résoudre une grande partie des couts et charges actuels vécus par toutes les entreprises.
Alors bien sûr, quand on dit qu’un service gratuit va disparaître, la première réaction naturelle est de s’insurger. Après tout, s’il y avait un service gratuit, ça devait bien être pour une raison. Et comme le père noël n’existe pas, c’est qu’il va falloir payer désormais. Mais, de quoi parle t on ? Quel était le périmètre exact de ce service gratuit et quel ordre de grandeur de prix est désormais observé quand il est rendu par des PDP.
A l’origine de cette réforme, il a été prévu de faire un Portail Public de Facturation pour permettre aux petites entreprises, voire très petites, à qui on allait imposer de passer à la facture électronique, de disposer d’une solution basique pour émettre et recevoir des factures poser des statuts et faire son e-reporting.
L’objectif était donc de faire face à des offres de PDP potentiellement trop chères et venant capter la valeur ajoutée que cette réforme doit apporter aux entreprises.
De plus, du point de vue de la DGFIP et l’AIFE, ça ne devait pas être si difficile puisqu’il y avait ChorsuPro, qui faisait à peu près ce que la réforme exigeait.
Certes, sauf que ChorusPro est avant tout construit pour les besoins du secteur public, et que la plupart des TPE qui émettent sur ChorusPro, le font pour quelques factures et ont donc appris à les saisir en ligne ou à déposer des pdf puis à en valider les données extraites, et ce non sans mal. Bref, elles se sont adaptées au secteur public, comme elles doivent s’adapter aux exigences de chacun de leurs grands donneurs d’ordre.
De plus, dès lors qu’il est annoncé un portail public gratuit, un certain nombre de grandes organisations, de grands ERP ou solutions de gestion se sont dit qu’ils pourraient aussi bénéficier de cette ressource gratuite sans trop se préoccuper à la fois de son périmètre et de sa capacité à adresser réellement leur besoin, les relations B2B étant assez différentes des relations B2G.
Ceci a fortement contribué à accroitre la difficulté pour le PPF à construire une solution qui puisse répondre à tous, à tous les besoins, pour toutes les factures. Et d’ailleurs, il n’existe pas de plateforme privée qui soit en mesure d’offrir une solution qui soit à la fois bien adaptée aux besoins des grandes entreprises et des TPE. Elles déploient toutes une spécificité : plutôt coté achat (Purchase to Pay), plutôt coté vente et recouvrement (Order to Cash), plutôt pour les grandes organisations, plutôt pour les TPE, plutôt pour quelques types d’achats (de production, d’achats généraux, parfois par catégorie : l’énergie, les télécoms, les médias, …).
Par conséquent, la barre était haute, et le budget pour le faire aussi (parce qu’à la fin, même les choses gratuites ont un coût, c’est juste la façon de le payer qui change. Ici, nos impôts). Il en a résulté d’abord une complexité de construction, en introduisant des différences de comportement suivant que le PPF intervenait entre le vendeur et l’acheteur, ou pas : les fameux Circuits A, B1, B2 et C. Pour ceux qui lisent la documentation, cela donne une impression de complexité puisqu’il a été jugé nécessaire de distinguer ces circuits (alors que le PPF aurait pu être considéré comme une PDP publique soumise à un cadre de fonctionnement commun).
Ce que l’on ne voit pas au premier regard est aussi que le PPF, héritant de l’expérience du B2G au travers de Chorus Pro, a aussi introduit des complexités additionnelles pour assurer une compatibilité ascendante (l’adressage à la maille SIRET et Code_Routage qui ne sont rien d’autre que les Codes Services Exécutants du secteur public, le refus et ses motifs très secteur public, …). Et je ne parle pas des flux 8 et 9, qui devaient être des factures transmises « par ailleurs » mais utilisées uniquement pour que le PPF puisse en extraire du e-reporting. Qui a compris ?
De plus, la proposition de service « basique » indiquée dès l’origine signifie aussi que le PPF ne traite que les factures entre assujettis et dans le périmètre précis de la réforme, et donc pas les factures hors scope (comme une facture de débours), pas les factures internationales (même en réception alors que ChorusPro sait recevoir des factures internationales), pas les factures relevant des articles 261 à 261E, même si elles s’échangent entre assujettis…
Que s’est il passé en parallèle ? Les offreurs privés ont structuré leurs offres entre ce qui ne relève pas du périmètre de la réforme (les services d’OD permettant de produire les données attendues et de s’en servir) et les services de PDP, contraints par la promesse de service gratuit du PPF, qui de surcroit était la seule plateforme interopérée par construction à toutes les PDP (mais juste pour le périmètre fonctionnel restreint du PPF).
Le résultat est plus de 70 PDP immatriculées, toutes ISO27001 (ce qui était peu le cas avant), couvrant dans leur ensemble tous les besoins des entreprises, et en particulier ceux des TPE, incluant une offre de PDP en marque blanche, ce qui permet à des OD de devenir PDP en intégrant des technologies de PDP (achat en gros pour revente en détail). Ceci a aussi contribué à ce que ces PDP s’organisent pour mettre en œuvre une interopérabilité native et effective entre elles au travers du réseau PEPPOL.
In fine, le prix pour transmettre ou recevoir des factures et statuts est ainsi de l’ordre de quelques centimes, suivant les volumes, rarement plus de 10 ou 15. Pour des TPE qui font moins de 500 factures par an (émission et réception), ceci représente quelques euros par mois, beaucoup moins qu’un abonnement de téléphone mobile ou d’accès internet.
Et pour tous ceux qui utilisent des solutions de gestion (de type OD) auprès d’offreurs qui sont aussi PDP, le surcoût est en général négligeable voire inexistant.
Ainsi, la réalité de la promesse de gratuité du PPF et la réglementation qui a fixé une obligation pour tous de passer à la facture électronique dans un calendrier contraint, a ainsi contribué à organiser le marché sur une offre large, compétitive en obligeant de surcroit ces PDP à s’interopérer le plus nativement possible, en s‘appuyant sur le réseau PEPPOL.
Ce n’était pas forcément intentionnel, mais le résultat est là. La plupart des PDP sont prêtes à échanger des factures et statuts dès 2025. L’Annuaire PPF sera disponible au premier trimestre 2025 pour accompagner un déploiement sur la base du volontariat, l’objectif étant que toutes les entreprises puissent être équipées au plus tard en septembre 2026. Et le PPF peut se concentrer sur la collecte des informations de e-reporting TVA pour la DGFIP, et sur son utilisation pour mieux collecter toute la TVA.
Alors maintenant, comment poursuivre pour réussir cette réforme ?
Le plus important est de transformer les spécifications externes du PPF sur les fonctions PDP en spécifications fonctionnelles communes devant être respectées par les PDP, y compris la description des formats du socle minimal, des messages de statuts de cycle de vie, de la façon d’adresser les cas d’usage, mais aussi de la gestion de l’Annuaire des assujettis, de l’adressage des entreprises et des règles de changement de PDP. Il s‘agit là de la gouvernance de l’interopérabilité entre PDP, qui est clé, aussi pour maintenir des niveaux de coûts d’interopérabilité les plus bas possibles, qui permettent des prix bas aussi.
Ceci devrait aussi simplifier les spécifications en ne considérant plus qu’un seul circuit simple : un échange entre 2 Plateformes, quelles qu’elles soient. Plus de nécessité de distinguer flux 8 et 9, mais uniquement des factures électroniques domestiques ou internationales, avec des données à transmettre à l’Administration fiscale (donc un flux 1 pour les factures domestiques quasiment identique sémantiquement au flux 10.1 pour les factures internationales). La capacité pour les PDP à s’échanger tout type de facture (et pas seulement les factures dans le périmètre de la réforme entre assujetti), c’est-à-dire à se préparer déjà à ce que ViDA obligera.
Cette gouvernance entre PDP devrait aussi bâtir un référentiel d’audit commun (comme on fait un cahier des recettes quand on fait des spécifications fonctionnelles et techniques), de façon à garantir que toutes les PDP seront auditées suivant les mêmes critères dans leur capacité à être PDP.
L’autre point important est relatif au e-reporting, et en particulier celui relatif au B2C et au e-reporting sur acquisition internationale hors import de biens. Contrairement au passage en facture électronique qui permet une réduction des coûts de traitement et une accélération des paiements, ces obligations de e-reporting représentent une charge pour les entreprises, et ceci indépendamment de ce que le PPF propose. S’agissant du e-reporting B2C, il faut organiser un alignement des solutions de caisse a minima. Pour le e-reporting sur acquisition, il faudrait éviter de contraindre les entreprises à extraire les données de ligne tant qu’elles ne sont pas reçues sous forme électronique et structurée.
Le dernier sujet est relatif au maintien d’un écosystème d’offre qui reste compétitif et permet à chacun de choisir sa ou ses solutions et d’en changer facilement le cas échéant. Pour ce faire, la définition d’API standardisées entre PDP et OD pour l’émission / réception de factures et statuts reste un enjeu à adresser. Et il faudra aussi veiller à ce que le marché ne se transforme pas en oligopole, avec ses dérives (cf bulletins de paie pour PME / TPE).
La morale de cette histoire.
S’il fallait retenir quelques enseignements sur la mise en œuvre de cette réforme en France, les miens seraient :
La nécessité de se préoccuper de l’existant et des contraintes des entreprises, en le documentant, ce qui a été fait dans le cadre des travaux de spécifications et de cas d’usage, avec pour conséquence le profil EXTENDED et la possibilité d’utilisation de formats tiers.
La nécessité de chercher à ce que la réforme apporte une valeur aux entreprises, qu’elles soient en position d’acheteur ou de vendeur, ce qui a été fait avec le partage du cycle de vie.
La nécessité d’instaurer une gouvernance nationale en charge de définir un substrat de fonctionnement commun, puis d’aligner les acteurs sur le respect de cette gouvernance, ce qui reste à finir. Il s‘agit là de construire une infrastructure d’échange de factures et statuts de cycle de vie, qui nécessite une régulation, comme ceci existe pour la téléphonie, l’énergie, la distribution de l’eau, les routes et autoroutes, les banques…
La nécessité de veiller à ce que les outils nécessaires à la mise en oeuvre de la réforme se fasse dans les conditions tarifaires les plus optimales. Ceci passe à la fois par une normalisation des interfaces (interopérabilité), et par la sollicitation d’une offre large et concurrentielle. Le cas échéant, une offre publique, à prix coutant et s’appuyant plutôt sur des technologies éprouvées et dans le respect de la gouvernance (la même pour tous) peut aider à fixer un niveau tarifaire de référence.